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L’interview de Marko Primosic – Oslavia, Italie

"Le vin orange pour nous ce n'est pas une mode, c'est le résultat de notre héritage" Marko Primosic.

Durant le salon Vinexpo Paris en février, j’ai eu l’opportunité de discuter avec Marko Primosic, producteur de vins réputé dans le Frioul, lors de la dégustation organisée par le Gambero Rosso (notre équivalent du guide Hachette).

Le public privilégié a pu découvrir notamment sa Ribolla di Oslavia riserva 2016, un vin blanc de macération mieux connu sous le nom de vin orange. Avec lui et Chiara Davia, responsable marketing, nous avons eu l’occasion de parler de leur histoire, de leur région, ainsi que de la récente envolée des vins oranges et de l’avenir du vin bio. Pojdiva!

Le Nouvel OVNI sorti des chais de la famille. Primosic Wines / Instagram ©

L’histoire des Primosic

L’histoire de la famille Primosic est intimement liée à la viticulture d’Oslavia, village viticole du Collio situé entre les villes d’Udine et Trieste, zone frontalière de la Slovénie. Implantés dans le commerce vinicole depuis le XVIIIe siècle, le premier succès viendra du fondateur historique de la maison, Carlo Primosic, reconnu pour ses qualités de vigneron auprès des marchands Viennois de l’empire Austro-Hongrois. Les deux guerres mondiales successives ont évidemment été catastrophiques pour la région, en termes humains et agricoles, et c’est seulement en 1956 que Silvan Primosic relança la production avec une première mise en bouteille en 1964.

A l’origine l’idée de faire macérer les peaux avec le jus des raisins blancs afin d’obtenir un « vin orange » était une tradition dans la famille : leurs ancêtres estimaient que c’était la meilleure façon de vinifier leur cépage traditionnel la ribolla gialla, une variété de raisin qu’ils considèrent comme essentielle à leur agriculture. On peut cependant observer deux phases d’évolution :

 

– dans les années 1950-60, les Primosic comme toute la région s’adaptèrent à la demande extérieure en produisant des vins sans élevage, issus de cépages internationaux : ils étaient frais et fruités, on les consommait dans l’année.

 

– puis à partir du début des années 1990, Marko et son frère Boris, alors jeunes associés, introduisirent le chêne dans leur méthode de production et se recentrèrent sur la replantation des cépages autochtones et sur la sélection parcellaire.

Aujourd’hui ils travaillent toujours ensemble avec leur père et entendent bien protéger les traditions et la typicité des vins du Collio avec une évidente passion pour leur vocation…

Silvan le papa entouré de ses fils Boris (gauche) et Marko (droite). Primosic ©

L’interview 

A quand remonte votre première vinification Marko ?

« Je dirai 1989, mais quand j’y pense mon père se moquerait gentiment de moi pour oser appeler ça une vinification! Honnêtement les vins n’étaient pas de très bonne qualité.

Vous avez parcouru du chemin visiblement. Comment en êtes-vous arrivé là ?

J’ai commencé tôt, puisque je suis né au domaine ! J’ai passé toute ma jeunesse dans le vignoble, et ce n’était pas juste pour aller m’amuser dehors, je donnais de l’aide au chai également. Après le lycée j’ai étudié à la Cividale del Friuli (aujourd’hui Università degli Studi di Udine) et j’ai eu mon diplôme d’oenologie en 1988. Nous faisions partis de la première génération de vinificateurs à être diplômés chez nous dans le Frioul, avant ça il fallait se rendre à Conegliano en Vénétie, la seule école du Nord-Est. Je trouve que c’est une belle reconnaissance pour la qualité des vins de notre région.

J’ai également un master en marketing à l’INSEEC de Bordeaux. Mais le plus important reste l’expérience des gens qui m’ont entouré par la suite, et tout le travail effectué dans le vignoble. Le fait est, si vous voulez faire du bon vin, vous devez connaître vos terres, et ça prend du temps. »

Dottore Marko ! Primosic ©

Humble et passionné, Marko revient sur ce pourquoi ses premiers vins n’étaient pas à son goût :

« A cette époque dans le Collio, les variétés internationales étaient très populaires. Nous avons travaillé dur afin de promouvoir les variétés locales mais la demande attendait surtout du sauvignon blanc, du chardonnay et du pinot grigio. Mes premières cuves, c’était du sauvignon blanc. Avec toutes mes connaissances théoriques et mon énergie j’ai oeuvré afin de réaliser le meilleur sauvignon blanc du monde… au final je n’ai même pas réussi à terminer la fermentation dans les temps, le vin était vraiment instable, mon père voulait me tuer ! C’est toute l’idée: la théorie sans l’expérience peut difficilement fonctionner.

A partir de ce moment, nous avons travaillé plus étroitement avec mon père ; avec mes connaissances universitaires et ses connaissances du terroir, nous avons créé des vins plus aboutis, notamment sur nos cuvées parcellaires.

Pourriez-vous nous parler un peu du paysage viticole de votre région?

Le Frioul-Vénétie Julienne est une petite région, et elle ne produit qu’à peine 1,5 à 2% de la production en volume italienne. On peut la diviser en deux zones: les plaines, qui représentent aujourd’hui 80% de la surface planté, et les coteaux, qui sont l’essence de notre viticulture. L’usage des parties basses ne date que des années 1960, puis elle est s’est intensifiée dans les années 1980.

Les vallées font parties de notre ADN agricole, mais clairement les choses évoluent très vite : partant du principe qu’une vigne peut produire du raisin en 2 ans sur les plaines, et qu’il en faut au moins 5 pour vendanger un raisin de qualité sur les coteaux, les plaines sont plus en vogue chez les industriels. En vallée l’adaptation à la demande est très lente, et le coût plus élevé.

D’ailleurs les surfaces basses sont essentiellement plantées de pinot grigio et de glera, le cépage utilisé pour les vins de Prosecco (le Frioul est la seule région autre que la Vénétie à pouvoir produire du Prosecco en appellation controlée), ce qui peut représenter une menace pour la sauvegarde de nos variétés locales. Je fais partie  des viticulteurs protégeant l’histoire viticole de cette région, ses forêts, sa biodiversité.

Que dire de la géologie et du climat de votre région ?

Le sol des plaines est surtout né du passage des rivières, il est majoritairement composé d’alluvions. Les vallées elles ont une origine océanique, vieille de plusieurs millions d’années, ce qui en fait un sol très complexe. Surtout dans les zones du Collio et du Colli Orientali del Friuli, où l’on trouve le ponca, le nom local donné au flysch (un sol friable composé de marnes, de grès et de fossiles). C’est un sol incroyable, avec une capacité de drainage idéale ; dans cette configuration les racines vivent dans des conditions optimales, peuvent s’enfoncer très loin dans le sol pour capter l’humidité en période sèche, et trouver les oligo-éléments qui confèrent au vin une richesse et une minéralité incomparable.

Le ponca (nom local du flysch), un sol très adapté à la culture de la vigne. lacastellada.it ©

Le ponca est un sol très pauvre de ce fait la plante redirige l’essentiel de ses forces non pas sur le feuillage mais sur la production de raisins plus sucrés, et de meilleure qualité.

Nos vallées sont très irrégulières, et rendent le travail difficile. C’est ainsi que dans les années 1970 beaucoup de viticulteurs ont attaqué les reliefs, les ont fait sauter afin de les aplatir. Je m’égare mais c’est important de bien comprendre le contexte : bien sûr ça a permis de planter de nombreux hectares et de passer à une agriculture mécanique plus efficace, mais ça a eu un impact terrible sur notre écosystème : outre le fait que des forêts entières et des micro-climats précieux aient disparus, les vignes plantées sur ces sols ne produisent pas des raisins aussi qualitatifs, c’est préjudiciable pour notre image. Aujourd’hui nous comptons prendre soin de notre géologie et de notre biodiversité.

Le climat est très important lui aussi. Nous sommes situés entre la mer Adriatique et les Alpes, ce qui apporte de grands écarts de température et ce même l’été. Le vent du nord-est qu’on appelle la bora est un vent froid, il accentue les variations de températures.

Ces éléments climatiques sont très bénéfiques pour la maturation des baies, ils permettent de développer une concentration idéale de l’acide malique. La faune et la flore environnante bénéficient également de ces climats.

La bora, un vent froid et brutal bien connu des habitants de la région.

 Pourriez-vous m’expliquer votre vision, votre philosophie?

 

Notre famille à une histoire très liée à ses terres ainsi qu’à son village. Ici à Oslavia, nous passons la majeure partie de notre temps dans le vignoble, pour comprendre l’endroit dans lequel nous vivons, accompagnés de nos enfants afin de leur transmettre notre savoir et notre passion pour notre territoire. Nous sommes une petite communauté de 150 habitants, 7 maisons viticoles seulement, et nous sommes tous proches, très bons amis.

 

Je pense que nous partageons une vision similaire quant au développement durable et au respect de la terre ; cela va d’ailleurs bien au delà des certifications : Prenez en exemple la norme européenne de “l’agriculture biologique” : Il vous est permis d’utiliser des métaux lourds, et les pulvérisations, tant qu’elles ne contiennent pas de produits chimiques, sont fortement conseillées. Ce n’est pas ce que nous préconisons. Notre philosophie est la suivante : Si tu ne mets pas de pression sur la plante, la laissant vivre en harmonie avec son environnement, elle apprendra et se renforcera d’elle-même. C’est difficile, mais c’est comme la discipline que vous vous imposez lorsque l’hiver arrive : le premier hiver, vous tombez malade peut-être, mais l’hiver suivant, vous vous préparez : vous donnez à votre corps plus de vitamines, vous l’habillez mieux, non? Après, je sais que tout le monde n’a pas cette philosophie, certains s’en remettent à leur médecin dans toutes les circonstances.

Vivre en harmonie avec son environnement et être à l’écoute de la plante, il y a un peu de biodynamie dans ce comportement? Que pensez-vous de cette philosophie?

 

La biodynamie fait partie de notre histoire en quelques sortes, les préceptes de Steiner étaient bien établis à la fin du XXe siècle, mais dans notre village nous souhaitons simplement prendre le meilleur de chaque philosophie, et ne pas courir après les labels, et les certifications.

 

Après ce n’est pas impossible que nous créions le label Oslavia, mais ce afin de protéger notre idée, pas imposer des règles trop spécifiques à ses adhérents. 

 

Je vous donne un exemple : J’étais à Bordeaux dans les années 1980, je prenais des notes. Ils plantaient des vignes à une densité d’environ 8000 plants par hectare (c’est assez élevé), et les pieds sortaient à 45cm du sol. Je me suis dit, comme beaucoup à cette époque, ce doit être une des raisons de leur succès, alors en revenant chez moi j’ai essayé de faire pareil, en plantant une nouvelle parcelle. Malheureusement les plantes résistaient mal à la compétition, et elles étaient bien trop près du sol, l’air circulait mal et l’humidité apportait de la pourriture et des maladies. J’aurai pu me borner à trouver la solution dans les remèdes prescrits par la biodynamie, mais la solution était ailleurs : j’ai replanté toute ma parcelle, à 6000 pieds par hectare, à 90cm du sol, et tout s’est arrangé. Les certifications c’est bien, mais être à l’écoute de ses plantes c’est plus efficace et plus gratifiant.

Le village d’Oslavia est sous le feu des projecteurs en ce moment, depuis l’avénement du “vin orange”…

Je n’aime pas vraiment le terme “orange”, bien qu’il me facilite la vie quand je discute avec mes revendeurs ou mes clients! Cela dit je lui préfère le terme de “vin ambré » ou « vin de macération”.

Orange is the new wine, bro. Imbibe ©

Notre village est considéré comme un des berceaux du vin orange, et je dis ça surtout parce que la ribolla gialla, notre cépage autochtone, ne montre sa véritable expression que lorsqu’on extrait sa richesse contenue dans sa peau. Egalement – et c’est crucial – la ribolla gialla ne révèle ses secrets que sur le ponca, alors si les meilleurs exemples proviennent de nos crus, ce n’est pas un hasard. Le vin orange, c’est simplement le résultat de notre héritage.

Comment ne pas tomber sous le charme ?

Bien sûr par la suite nous avons appliqué les mêmes méthodes au friulano et au pinot grigio, bien que l’histoire soit différente pour ce dernier, étant donné son image de cépage plus national que local, et son profil de vin frais et vif, qu’on boit sur sa jeunesse. En fait pour nous le pinot grigio est un cépage incroyable si on le plante sur les sols adéquats, et qu’on le récolte sur de vieilles vignes. Aujourd’hui (février 2020), nous mettons sur le marché notre pinot grigio de macération 2016, quatre ans après la récolte. Il a une espérance de vie de vingt ans, ce qui en soi est une provocation pour son marché! Bien qu’il soit devenu un cépage planté sur tous les continents, notre objectif est de montrer son potentiel, lorsqu’il est planté sur ses terres, dans le Haut-Adige et dans le Frioul.

Les terrasses de pinot grigio de la famille Primosic.
 
Quel est votre opinion sur le boom du vin orange ?

 

Boom, mode… ce sont des mots que nous n’utilisons pas vraiment… En fait le vin orange pour notre village, notre famille, c’est un plan de vie ; la mode, elle a un début, elle a une fin. C’est pour ça que nous ne pouvons simplement pas le considérer comme une mode.

Ce que j’observe, c’est que le vin orange capte surtout l’attention des milléniaux, et de ceux qui ont un intérêt pour le développement durable. Ce qui se passe est très intéressant car ce sont les anciennes générations qui entrent dans le processus de découverte, un processus insufflé par l’intérêt des plus jeunes : quand je participe à des dégustations, les plus jeunes viennent souvent me voir les premiers, ils se passionnent à la fois pour les méthodes de production, mais également pour la couleur très atypique de mes vins ; et ce comportement, cette connaissance qu’ils développent, ça intrigue les anciens, alors je les vois se rapprocher tout doucement, ils sont curieux, observent de loin… Tout ça pour vous dire, ces gens étaient des pionniers auparavant, et maintenant ce sont eux les suiveurs, je trouve ça magique! On parle du monde du vin quand même, les jeunes qui montrent le voie aux anciens, ce n’est pas commun. Et bien sûr, je suis aussi très satisfait d’observer la nouvelle tendance du “donne-moi moins, mais donne-moi la possibilité de consommer mieux”, c’est une habitude bien ancrée dans le marché du vin orange.

Comme vous venez de le dire, la mode a un début et une fin. Il semble que la conversion vers une agriculture plus saine échappe de plus en plus à cette idée de mode, mais comment prévenir un retour en force des produits de synthèse ?

 

Ça c’est un sujet très compliqué. Essentiellement parce que ces entreprises ont déjà pris les devants, elles ne dorment pas. Elles investissent dans des produits prétendument plus responsables, mais elles investissent sûrement plus encore dans la génétique, c’est effrayant. Je me demande, combien de temps encore avant qu’ils nous imposent de choisir entre des pesticides chimiques “bio” ou l’agriculture génétiquement modifiée ?

 

Je n’ai pas encore une unique réponse à cette question, mais j’aimerais qu’on se focalise de notre côté sur le croisement naturel des vignes. Ça ne veut pas dire modifier manuellement le code génétique des plantes, mais avancer sur nos connaissances en terme de pollinisation, et créer des plantes naturellement plus résistantes par exemple.

 

 

 

 

En France, moins de 20% du vignoble est sous certification, notre mentalité change mais les bénéfices à court terme restent alléchants…

 

C’est une vieille philosophie, je pense vraiment que c’est une idée mourante. Cependant vous parlez de la France mais nous avons le même problème ici, regardez le Prosecco : Ils ont fait augmenter la valeur de l’hectare en plantant de la Glera, mais les traitements chimiques par pulvérisation restent monnaie courante, et la colère monte chez les habitants, car ce n’est pas une question d’argent dans leur poches, mais c’est travailler main dans la main pour imaginer un futur meilleur, gagnant- gagnant.

 

Après, la pression que nous mettons pour interdire le glyphosate en Europe c’est essentiel, et c’est déjà un grand pas en avant ; l’industrie agricole a utilisé ce produit pendant trop longtemps, il s’est depuis bien infiltré dans nos terres, et jusque dans nos nappes phréatiques, dans l’eau que nous buvons, c’est terrible. Il faut le dire, ce genre de produit modifie nos cellules ! Notre réponse est tardive mais importante. Et c’est comme l’énergie nucléaire, notre attention est requise, maintenant.

 

 

 

 

Merci Marko pour votre temps. Afin de finir sur une note égayante, auriez-vous une anecdote de dégustation à nous faire partager?

 

J’aime véritablement le vin et je trouve toujours un moment pour découvrir quelque chose de nouveau. Mais je dois dire qu’un de mes vins préférés est un grand classique, un très vieux millésime du Château Haut-Brion. Plus récemment, j’ai été impressionné par un malbec argentin, il provenait de vignes plantées il y a plus de 100 ans dans la région de Mendoza par Pulenta Estate. Il n’avait pas cette brutalité que certains vins de la région peuvent avoir, il dégageait des notes épicées si élégantes, et avait une richesse, une minéralité et une justesse phénolique vraiment surprenante, pas juste des tanins, et de l’alcool. »

Signorvino ©

OKLM le Marko ! Et pour lier la parole à l’acte, vous pouvez retrouver tous les plus grands vins de la famille Primosic en vente sur Tannico.fr (la ribolla di Oslavia riserva est un vin très rare cependant, quelques bouteilles sont à vendre à la cave à vin d’Eataly Paris dans le Marais).