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L’Interview de William Théry – Cheverny, France

"Quand je cultive de la vigne ou quand je fais du vin, je souhaite avant tout élaborer un produit qui reflète son terroir."

Retour au bercail, précisément où je suis né près de Blois, dans le Loir-et-Cher, à la rencontre d’un ami et ancien camarade de classe, William Théry

Homme du terroir mais aussi aventurier globe-trotter, son parcours riche en expériences donne une idée claire de ce qu’on appelle un véritable « amoureux du vin ». Son enfance, ses études, ses projets, William se dévoile comme une matinée de brume sur les plaines de Cheverny pour Vindeter, et pour nos millions de lecteurs (potentiels). 

"Salut Jean-Pierre ! Salut William ! " (Les Inconnus)

Note : J’ai eu envie de publier cette interview car c’est le genre d’histoire que je cherchais à entendre quand j’ai commencé mes études dans le vin. J’espère que l’échange qui va suivre pourra donner à quiconque l’envie de se lancer dans cette aventure incroyable qu’est la passion du vin.

Jeunesse

Raconte-nous un peu là où tu as grandi.

Pour commencer, je suis né un 25 juillet 1987 à 18h30, donc à l’heure de l’apéro, pour vous situer un peu mieux ! Ensuite j’ai grandi dans une jolie propriété au bord de la rivière, dans le Loir-et-Cher entre Blois et Chambord – aux portes de la Sologne -, dans un domaine qui s’appelle le Château de Nanteuil, où ma famille vit depuis une centaine d’années. Ce n’est pas une propriété viticole mais la notion de terroir, avec sa dimension historique, est belle et bien présente puisque mon père y a tenu pendant toute mon enfance un hôtel restaurant où il proposait des produits frais et locaux, il démarchait lui-même les vignerons, tout ça dans un esprit bon vivant plus que dans un esprit guide gastronomique. 

Du coup moi, assez tôt, je me suis intéressé à la cuisine, je me suis beaucoup amusé dans cet environnement,  jusqu’à même déguster mon premier verre de vin à l’âge de 8 ans. J’étais plutôt vin blanc d’ailleurs, mon palais n’était pas encore éduqué…

Le Château de Nanteuil.

J’imagine que ça a eu un impact sur ton parcours par la suite ? 

En fait, j’ai retrouvé un dessin, que j’avais fait pendant les cours d’arts plastiques en sixième, de moi en train de travailler dans les vignes ! Ça faisait donc un moment que j’avais cette idée en tête oui. D’ailleurs j’ai toujours voulu travailler dehors au plus proche de la nature, et pour moi la viticulture est plus qu’une passion, c’est une vocation !

Au lycée, j’ai passé un bac scientifique, suivi d’une année de fac de biologie à l’université de Tours, avec une option science de la Terre et de l’Univers ; c’est là que j’ai pu me former à la chimie et la physique des sols, à la géologie. Ces notions m’ont beaucoup aidé par la suite, quand je suis arrivé en BTS viticulture-oenologie à Libourne, près de Saint-Émilion. Je ne connaissais pas grand-chose à la viticulture, ces études de biologie et de chimie organique ont donc été très importantes pour me mettre le pied à l’étrier. J’ai été un peu perdu les premières semaines de cours en BTS, le vocabulaire était spécifique et la cadence assez rapide.

Heureusement qu’il y a les soirées avec les copains de classe qui m’ont beaucoup appris, car certains de mes camarades étaient de famille de vignerons. On passait des soirées entières à jouer au tarot en buvant du Bordeaux et en prenant le temps d’échanger sur plein de sujets de la vigne et du vin, je garde des bons souvenirs de l’école du soir avec les copains girondins bons vivants ! En tout j’ai vécu 6 ans dans le bordelais.

En BTS il y avait deux stages de 6 semaines,  nous avons commencé le premier stage sur les travaux de la vigne. Moi j’étais à Lalande-de-Pomerol juste à côté, et toute la théorie se mêlait à la pratique, ce qui devenait de jour en jour plus limpide. 

Ensuite, tu dois trouver un stage œnologie ; le mien c’était chez Jacky Blot à Montlouis, dans le Val de Loire. 

L’étude que j’avais choisie était le la technique du bâtonnage ; c’était en 2007, un grand millésime pour les vins blancs secs dans la région. J’ai donc essayé de comprendre comment on pouvait apporter un peu de gras ou de rondeur dans un vin blanc sec, selon l’élevage sur lies fines, lies grossières, avec différents rythmes de bâtonnage. C’est donc un exemple précis de ce qui nous était demandé. Pour quelqu’un qui ne connaît pas le vin c’est déjà un peu rentrer dans les détails, mais c’est pour donner une idée du travail et de la passion de cette équipe qui m’a accompagné pour mon premier millésime ; c’était un moment très important pour moi.

A la vigne comme à la vigne.

Premiers pas professionnels

Tu t’es arrêté là au niveau des études ?

Après le BTS, j’ai eu la chance d’intégrer une nouvelle formation qui venait de se créer en Gironde, une formation d’ingénieur agronome en apprentissage. Et là, j’ai eu la chance de travailler pendant 3 ans au Château Angélus (grand cru classé à Saint-Émilion), en réalisant des audits et des rapports techniques, mon mémoire ayant pour ligne directrice « améliorer la qualité pour communiquer dessus et étendre sa notoriété ». Nous étions 12 apprentis à suivre les cours d’ingénieur sur une promotion de 130 élèves. Mon option était « création, management, reprise d’exploitation agricole ».

Cette formation d’ingénieur agro s’est terminée par un stage international, que j’ai effectué en Californie, en Sonoma Valley précisément. Pendant cette mission de trois mois de vendanges j’ai beaucoup travaillé avec de grosses machines – à l’américaine bro ! -, au sein du domaine Vérité Winery, un domaine prestigieux. C’est la vitrine qualité de la famille Kendall-Jackson, une des plus grandes maisons californiennes. J’ai travaillé aux côtés de Pierre Seillan, un français ultra réputé dans la viticulture mondiale.

Pour ceux qui ne connaissent pas trop cette région : cette expérience californienne, c’était se plier à la philosophie américaine ou faire du copier-coller du savoir-faire français? 

C’était plutôt du copier-coller, Pierre Seillan et les Français qui étaient recrutés l’étaient pour cette raison. Au-delà de ça, c’était même un style très Bordelais : merlot, cabernets et petit verdot. Mais la philosophie de production s’imprégnait bien du style américain, en respectant  totalement le terroir. J’ai toujours aimé dire de Pierre Seillan que je le trouve authentique, respectueux des valeurs. Un gersois qui sait d’où il vient, il a gardé son accent gersois quand il parle en anglais. Je dois dire que cette expérience m’a aussi aidé à améliorer mon anglais, et mon espagnol puisque je travaillais aussi avec des mexicains en cave.

Et enfin après ça, c’était la fin des études ; plus personnellement ce fut aussi la fin de ma première relation amoureuse, c’était avec une angevine. C’est à ce moment que je suis retourné à mes racines, dans la région Sologne et son AOC Cheverny. 

A mon retour je devais trouver un job rapidement pour commencer la pratique et acquérir de l’expérience dans mon métier. J’ai été recruté pour travailler dans un gros domaine viticole de 80 hectares pendant 1 an et demi, il fallait produire du vin D’AOC en grande quantité pour la Chine, les grandes surfaces… J’y ai fait mes premières constatations : il y a des entreprises comme ça dans ma région, où on suit en priorité les recommandations de la chambre d’agriculture, des commerciaux en produits oenologiques et phyto-sanitaires… Je ne veux pas dénigrer le suivi qualité, il a le mérite d’exister, mais il n’est pas vraiment poussé vers l’utilisation de molécules naturelles.

Un beau gâteau de marc !

Cheverny et Cour-Cheverny

Peux-tu nous parler de Cheverny? 

Cheverny c’est une appellation très récente, reconnue depuis 1993. Petit aparté : je connais bien les fondateurs et les vignerons de l’appellation car depuis mon retour dans la région, j’ai participé tous les ans à la fête des vendanges de Cheverny en tant que bénévole à la buvette de la maison des vins de Cheverny.

L’appellation Cheverny produit des vins blancs, des rouges et des rosés. Les vins blancs s’élaborent avec une majorité de sauvignon blanc, mais aussi du chardonnay, du sauvignon gris, du chenin, et le cépage local appelé menu pineau (on appelle aussi ce drrnier orbois, à ne pas confondre avec le village Arbois dans le Jura). Ce sont des vins blancs secs, légers et fruités. Pour les vins rouges et rosés on utilise le pinot noir, le gamay et le côt (ou malbec), ainsi que le cépage local, le pineau d’aunis. Dans la région, l’appellation Crémant de Loire AOC est aussi autorisée en pétillant blanc et rosé.

Les sols d’ici sont très propices à la viticulture, avec des profils sablo-limoneux qui cachent en sous-sol des couches d’argile, mais aussi des sols développés sur des substrats calcaires, riches en tuffeau.

Sur cette appellation se tient une autre AOC, tout aussi jeune, l’appellation Cour-Cheverny. Celle-ci n’est produite qu’en blanc, à partir d’un cépage unique, le romorantinC’est une variété qui commence à s’exporter depuis une dizaine d’années mais qui reste dans l’ensemble un raisin très local, et rare. Le romorantin était en danger d’extinction lors des campagnes de prime à l’arrachage. C’est une décision que l’AOC et les vignerons ont vite regrettée car ils se sont aperçus que le romorantin pouvait apporter de l’exception et de la visibilité pour la région. Ce cépage à été apporté ici par François 1er lors de la construction du château de Chambord.

Personnellement j’adore ce cépage, je lui trouve un caractère racé qui m’a rappelé, la première fois que je l’ai goûté, le viognier : un peu épicé mais pas trop, un côté fruit mûr, surtout vendangé un peu tardivement. 

Et qu’est-ce que tu manges avec un Cour-Cheverny ?

D’emblée, pour son côté racé, je l’associe avec un poisson de Loire comme le brochet ou le sandre, des poissons de rivière qui ont du goût, mais je n’hésite pas non plus à m’en garder un verre pour la fin du repas, avec un dessert au chocolat ou même une part de  tarte Tatin, la spécialité locale. Voire simplement en apéritif d’ailleurs, c’est clairement un vin blanc qui peut s’apprécier tout au long de la journée.

Filet de sandre.

La philosophie de William

Comment abordes-tu ton métier ?

Quand je cultive de la vigne ou quand je fais du vin, je souhaite avant tout élaborer un produit qui reflète son terroir, qui puisse exprimer la typicité de son sol et les arômes du cépage au mieux, que la plante et que le vin puissent trouver un équilibre, sans qu’on ait besoin d’y ajouter quoi que ce soit dedans. Je décide de ne pas suivre le chemin du tout chimique car depuis petit j’ai toujours eu cet intérêt pour la nature, dans son sens large. 

Depuis mon retour à Blois, je suis surtout allé à la rencontre des vignerons qui produisent des vins « nature », issus de vignes cultivées en biodynamie. Ce que j’aime chez ces gens-là, c’est qu’ils prennent soin de la vie, de l’environnement, de santé du consommateur, de la dimension historique de notre terroir, ils ne songent pas à arracher la vigne pour produire des vins qui suivent une mode ou un soit disant goût du consommateur. Ici, on trouve certains passionnés qui cultivent des cépages rares de la région : le pineau d’Aunis, le romorantin, et le menu pineau.

Le pineau d'Aunis, ou chenin noir.

Ce n’est pas une mode pour toi ?

Pour moi c’est pas une mode, c’est une philosophie pour un meilleur avenir. J’appelle certains de ces vignerons des révoltés, des mecs qui ne copient pas les autres, qui ne se laissent pas faire par le conformisme. Ce ne sont pas des gens qui suivent la mode, ils font des vins subtiles, complexes, légers, festifs, des vins de soif avec la pureté du fruit. Et rencontrer ces personnes m’a « embrigadé » dans cette philosophie, autour des vins naturels, d’une ambiance de vendange, sans jugement de valeurs, profiter de la vie, danser, chanter… Le vin est une fête chez les bons vivants !

Viens là ma douce !

 Des vignerons révoltés, par rapport aux systèmes d’appellation peut-être ? 

Pour bien répondre à cette question, je te ramène au documentaire « Vitis Prohibita » de Stephan Balay qui invite des intervenants comme Pierre Galet, l’ampélographe français par excellence. C’est un documentaire essentiel pour comprendre les enjeux de ces sujets, il est tout à fait d’actualité et vise tout type de public.

Quoi qu’il en soit, produire un vin nature, ou en biodynamie, c’est avant tout produire un vin le plus naturel possible, donc avec le moins de produits de synthèse, et c’est un sujet difficile !

Présent et futur

Toi, un jour, vas-tu faire des vins en AOC ?

Oui, je souhaite produire du Cour-Cheverny en plantant du romorantin. En fait, l’AOC est quand même un bon outil pour entretenir le vignoble, il y a des contrôles qualité, des éléments mis en place pour prévenir les maladies, éviter de contaminer les parcelles des voisins. 

Seulement, je regrette qu’ici on ne privilégie pas plus les cépages locaux : dans l’appellation Cheverny blanc, la majorité des plantations c’est du sauvignon et du chardonnay, ce ne sont pas des cépages historiques d’ici. Si tu décides d’avoir dans ton Cheverny blanc une majorité de cépages locaux, alors tu sors de l’appellation, tu es classé en « vin de France », c’est un peu dommage ! Après, « vin de France » c’est une appellation qui est super libre, donc ce n’est pas si grave non plus. Je choisirais alors de communiquer davantage sur le cépage et la manière dont il est travaillé plutôt que de profiter du nom de l’AOC. Les vignerons qui adhèrent à l’AOC le font aussi pour plus de lisibilité commerciale, personnellement je souhaite ne pas en avoir besoin pour vendre mon vin.

Que s’est-il passé pour toi depuis ton retour ici finalement ?

Je suis donc revenu dans le coin en 2013, mais je suis allé faire des vinifications en Espagne pour François Chidaine (vigneron à Montlouis), à cette occasion j’ai pris goût à la danse latine, salsa et baccara, avec les collègues des vignes qui étaient latinos. Avec mes expériences à l’étranger , maintenant je parle très bien l’espagnol et l’anglais. Mes dernières vendanges à l’étranger (et les prochaines j’imagine), c’était en Thaïlande chez une amie thaïlandaise qui est la star vigneronne dans son pays ! J’avais besoin de faire ces voyages pour découvrir ce qui se fait ailleurs. Depuis 2015 je loue une vieille parcelle de chardonnay qui appartient au dernier paysan du hameau de Nanteuil, là où j’ai grandi. C’était donc mes premières vignes, et mon premier millésime en 2015. J’ai voulu faire ce chardonnay en vin naturel, donc sans sulfites dans le vin est sans produits de synthèse dans les vignes. Les rendements étaient assez faibles, mais la qualité était là. 

Ce monsieur m’a laissé m’occuper de ses vignes, ce fût une chance pour moi, il désherbait chimiquement juste sous le rang de vigne, il faisait un petit travail du sol, pour aérer, un peu d’engrais bio et c’était tout. J’ai voulu pousser un peu le processus pour amener la vie microbienne à se reconstituer, observer la façon dont le sol va naturellement se rééquilibrer ; là je parle plus de « plantes bio-indicatrices » que de « correction du sol », et ça prend énormément de temps d’observer et d’accompagner tous ces êtres vivants qui forment ou reforment l’écosystème d’une vigne épanouie. Certains parlent de mauvaises herbes, moi j’estime qu’il n’y a pas de mauvaises herbes, elles sont là pour une raison : sur un sol acide par exemple, on finira par avoir des plantes qui vont pousser naturellement et transformer cette acidité pour rendre le sol plus équilibré. 

Il faut observer et comprendre tous ces phénomènes d’abord. La première année j’ai eu de la petite oseille et de la luzerne sur mes sols, c’est assez commun. Mais la seconde année, j’ai trouvé de la valériane, et la troisième année j’ai eu de la fraise des bois, et beaucoup plus de luzerne, ce qui est positif pour l’apport d’azote… Bon après je suis aussi assez embêté avec les ronces et les chardons, mais c’est comme ça, je les enlève à la pioche.

Pour l’instant ces vignes appartiennent au dernier paysan de Nanteuil, j’ai l’espoir qu’un jour je puisse m’occuper de ses terres et de sa ferme, replanter des vieux cépages de chez nous et arriver progressivement à cultiver 5ha en biodynamie pour pouvoir vivre de ma passion viti-vinique.

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“Je boirai du lait le jour où les vaches mangeront du raisin.”