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A la découverte du merwah et de l’obeidi – Bekaa, Liban

Panorama of the Bekaa Valley landscape over Fourzol, Lebanon.

"L'obeidi apporte la structure, le merwah la nervosité".

Depuis plus d’un siècle, les cépages français dominent largement la production de vin au Liban. Bien que le pays possède quelques variétés autochtones (principalement des cépages blancs), seules deux d’entre elles ont été utilisées pour la production de vin : l’obeidi et le merwah.

Ces deux cépages, très anciens, étaient principalement utilisés comme raisins de table ou pour la production d’arak, l’alcool national libanais. Après la période de domination ottomane, on les utilisera aussi pour l’assemblage de vins blancs. Ces raisins n’étaient généralement pas vinifiés seuls.

Au cours du XXe siècle, et grâce au travail de Gaston Hochar, fondateur du Chateau* Musar, de premiers essais viennent infirmer cette tendance. Sa volonté de faire la promotion des vins du Liban à travers ses cépages autochtones l’amènera à produire des vins de mono-cépage dès la création de son exploitation, en 1930. Un 100% merwah de 1954 est d’ailleurs toujours présent dans les caves de Musar !

La grande révolution mercantile arriva en 2015,  lorsque le Château St. Thomas, dans la vallée de la Bekaa, lança une bouteille 100% obeidi, en le mentionnant clairement sur l’étiquette. Le résultat était si encourageant que d’autres vignobles ont suivi.

Pour en savoir plus, j’ai pu échanger avec Emile Issa el-Khoury et Faouzi Issa du Domaine des Tourelles, mais également avec Tarek Sakr, l’œnologue du Chateau Musar. Leur vision apporte la franchise et la fraicheur que leurs vins délivrent aux palais des passionnés.

Découvrons à présent ce qui se cache derrière l’histoire millénaire de ces deux joyaux libanais que sont le merwah et l’obeidi !

* Chateau Musar s’écrit sans circonflexe.

Baalbek, dans la vallée de la Bekaa. Ce temple serait érigé en l'honneur de Bacchus.

Origines

On aurait tendance à oublier que le Moyen-Orient demeure le berceau du vin. Dans la Bible, on cite la capitale syrienne, Damas (à quelques kilomètres de la Bekaa) comme une zone viticole de renom. Au Liban, c’est dans la zone de Byblos que la vigne aurait été plantée par les Phéniciens aux alentours de -6000. C’est tout de même 5000 ans avant l’apparition des premières vignes en France…

De l’Égypte à l’Assyrie, des cépages comme le merwah et l’obeidi auraient très bien pu être commercialisés et répandus dans ces régions durant des millénaires.

Le conditionnel s’impose néanmoins. Dans son ouvrage Vignes et vins au Liban, 4000 ans de succès, Jean-Pierre Bel tempère : « Il faut cependant compter avec la relative faiblesse des sources archéologiques ».

Nouvelle école

En 1857, des missionnaires jésuites introduisent de nouvelles méthodes de viticulture, ainsi que de nouvelles variétés de ceps.

En 1920, le protectorat français est institué sur les régions syriennes du Levant. Outre le panorama militaire, politique et culturel, c’est également l’industrie agricole qui se retrouve impactée. On notera la prolifération de nombreux cépages occidentaux : cinsault, cabernet sauvignon, syrah, mourvèdre, tempranillo pour les rouges ; chardonnay, sauvignon blanc, clairette pour les blancs. Au total, une quarantaine de cépages sont implantés.

Convaincus par l’importance de préserver les ressources génétiques de la vigne, l’Institut de recherche agricole libanais a créé en 1998 une collection nationale rassemblant au total 52 variétés de raisins jugées « locales ». Mais à ce jour, seul le matériel génétique de deux cépages a été étudié pour leur capacité à produire du vin de qualité : le merwah et l’obeidi.

Depuis les années 2010, on observe une part grandissante de domaines expérimentant les vinifications avec ces deux variétés. En mono-cépage comme le Château St. Thomas donc, avec sa cuvée obeidi. Et le Château Ksara, qui commercialisera peu de temps après son tout premier 100% merwah.

Mais c’est aussi grâce à des initiatives comme celles du Domaine des Tourelles, qui réalise depuis quelques années une cuvée d’assemblage de merwah et d’obeidi. « C’est l’histoire de viticulteurs fiers de leur terroir, de leur climat méditerranéen, m’explique Emile. Plutôt que de répliquer uniquement un style à partir des vins de l’étranger, nous avons décidé de donner au monde une vraie signature libanaise en lançant une bouteille élaborée à partir de cépages autochtones. C’est notre conviction et notre enthousiasme. »

Caractéristiques du merwah et de l’obeidi

Ces deux cépages appartiennent au règne vitis vinifera. Et le moins que l’on puissent dire, c’est qu’ils aiment prendre de la hauteur. On les retrouve généralement à 1400m d’altitude et plus, nichés sur les pentes du Mont-Liban et celles de l’Anti-Liban. Il s’agit des deux massifs calcaires qui encadrent la plaine d’effondrement de la Bekaa.

Le merwah

Le merwah (ou merweh) est traditionnellement planté dans les montagnes sur d’anciennes petites terrasses entre les oliviers et les figuiers. Cela permettait aux vignes de grimper aux arbres et de produire des raisins mûrs, à l’abri de la chaleur. Cette tradition de polyculture s’est répandue à travers les montagnes du Liban. Les modes de culture plus modernes ont quelque peu rendu cette pratique obsolète. Mais à Bcharré, au vignoble du domaine des Tourelles, la tradition de laisser ces vignes pousser à l’état sauvage perdure.

« Le merweh est un cépage très résistant, qui aime les conditions difficiles. Ici, près de Bcharré, nous pratiquons une viticulture complètement naturelle, à la limite du côté sauvage. Ce vignoble ne connait pas d’intervention : pas d’irrigation, pas d’agronomie, pas d’additifs. Surtout, c’est un vignoble très ancien, en autonomie complète. Les pieds sont quasi centenaires ! De plus, leur haute altitude nous offre une bonne teneur en acidité, et un faible taux d’alcool (environ 11, 12%) ».

Au Mont Liban, les vendanges peuvent se poursuivre jusqu’au mois d’octobre. Ici, le merwah produit des vins blancs frais et élégants, avec des arômes floraux et tropicaux. C’est peut-être pour cette raison que fut un temps on lui prêta une parenté avec le sémillon. A ce jour, son héritage génétique reste inconnu.

Le merwah à l'approche des vendanges.

L’obeidi

Dit obeideh, ou obeidy. Ce cépage fragile, à la peau fine et supportant mal la sécheresse, possède néanmoins une bonne capacité d’adaptation en altitude.

Au cuvier, l’obeidi est sensible à l’oxydation. « Ceci dit, l’oxydation de l’obeidi n’est pas une fatalité car elle causerait plus une évolution qu’une ‘destruction’ du cépage en lui conférant des notes d’amande, de figue et de noix, précise Faouzi. L’obeidi est peut-être moins vif que le merweh, mais il possède une belle richesse en bouche. De la longueur, du gras, et des arômes de miel, de poire, de pomme. »

Durant des décennies, on l’a comparé au chardonnay, au chasselas ; on lui a prêté des parentés… Mais aujourd’hui, on estime que l’obeidi serait plutôt comme « orphelin », sans comparaison génétique aux cépages occidentaux. Tarek Sakr, l’œnologue du Chateau Musar, m’expliquait : « le jour où l’on arrête de comparer les cépages, on découvre leur vrai caractère. Si l’on dit que l’obeidi ressemble au chardonnay mais en plus comme ci, moins comme ça… on ne peut pas l’apprécier vraiment. »

Pour Tarek, il n’y a même pas de raison de comparer. « Si on me demande quel est mon vin préféré chez Musar, je réponds : et toi, si tu as des enfants, quel est ton préféré ? C’est impossible de choisir, ils ont tous leur particularité. Dans notre assemblage merwah obeidi par exemple, l’obeidi apporte la structure, le merwah la nervosité« .

L'assemblage obaideh et merwah du Chateau Musar.

Styles, dégustation et accords

En règle générale, ces vins sont produits dans un style sec et fruité : pas ou peu de sucres résiduels, et un profil aromatique gourmand et équilibré. Il est encore assez rare de croiser des mono-cépages de merwah ou d’obeidi, tout comme des assemblages d’uniquement ces deux variétés. Moins exhubérants que le sauvignon, le muscat ou le viognier par exemple, ils n’ont pas encore trouvé leur public, et sont généralement utilisés comme cépage d’appoint dans des assemblages plus classiques.

Mais les expérimentations de ces domaines libanais, fiers de leur patrimoine et de leur terroir, laisse penser que l’avenir leur donnera raison : « en ce qui concerne la dégustation, l’obeidi, nous ne l’avons pas vraiment apprécié en mono-cépage, me confie Emile. Le déclic est venu en faisant cet assemblage avec le merwah. C’est Faouzi qui a pris la décision finale d’élaborer ce vin à 50-50, et sans barriques, afin de laisser s’exprimer ce vin de la façon la plus vive et la plus dénudée. C’est donc cette fameuse bouteille vieilles vignes, qui a été lancé il y a 4-5 ans, qui a beaucoup de succès. »

Et comment résister à la simplicité, la générosité et le parfum de la cuisine libanaise ? Avec ces vins, c’est toute cette diversité de mezze qui s’offre à vous pour un accord parfait ! Houmous au citron, labneh, baba ghanouj, mais aussi et surtout les délicieuses taouk… accompagnés d’un des vins que je vous conseille ci-dessous, « c’est pas Beyrouth », c’est tout simplement le Liban !

Houmous, tabouleh, poulet grillé... Toute la famille est réunie autour du merwah !

Sélection de merwah et d’obeidi

Merwah

 

Obeidi

 

Assemblage

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