Cet article fait suite à l’introduction sur les vins natures publiée la semaine dernière.
Passer le cap
Bien que globalement satisfait, le monde du vin nature n’a pas attendu les louanges des organes officiels pour sortir de sa chrysalide : il est depuis plusieurs années déjà reconnu, apte à vieillir en cave (on retrouve même des millésimes 1964 sans sulfites ajoutés encore vigoureux), exporté, présent sur les cartes des restaurants du monde entier et les Hommes qui le produisent de façon qualitative ne sont plus vus comme des agriculteurs un peu paresseux mais bien comme des jusqu’au-boutistes passionnés de terroir et du goût franc.
Il faut bien l’admettre, le goût, ça reste un sens qui nous est très personnel. Produire un vin dit nature, c’est donc, au delà des considérations environnementales et mercantiles, se fixer pour but d’élaborer un produit qui plaît. Un produit alimentaire de qualité, aux qualités gastronomiques séduisantes.
Le terme gastronomique peut d’ailleurs paraître surprenant pour quelqu’un qui a fait à plusieurs reprises l’expérience de déboucher un vin nature et trouver à l’intérieur du flacon un résultat insipide, voire raté. Il existe évidemment des ratés, tout comme il existe une niche d’opportunistes prêts à tout pour surfer sur la vague du nature et même tromper le consommateur.
Le plus compliqué à l’heure actuelle reste peut-être d’accepter que même un vin nature de qualité est parfois plus fragile qu’un vin stabilisé, il voyage souvent plus mal, et ne montrera peut-être son vrai visage que s’il est consommé de manière locale. Il est donc probable qu’un vin provenant de l’Oregon ne puisse être dégusté dans de bonnes conditions à Paris, ou qu’un grand vin de Loire perde une partie de son âme s’il voyage sur un bateau à destination de La Réunion.
On peut dire que le vin nature invite à partir à la découverte des régions viticoles, et à se transformer en véritable oenotouriste.
Comprendre les effets des produits chimiques
Le terme de vin nature est très récent. Mais on pourrait volontiers le comparer aux vins qui étaient produits avant l’ère Pasteur, à la différence qu’aujourd’hui les producteurs ont recours aux publications scientifiques modernes, ou à l’étude microbiologique des sols et des vins en laboratoires pour parfaire leur gamme. Bruno Schueller, vigneron alsacien, n’hésite pas cependant à qualifier cette tendance du zéro intrant de résurrection.
Les intrants sont tous les produits de synthèse ou naturels qu’un vigneron est autorisé à intégrer dans ses méthodes de travail afin de maîtriser l’élaboration de sa matière première et de son vin. Comme l’indique Mathieu Lapierre, jeune vigneron talentueux de Villié-Morgon dans le Beaujolais, « ces éléments peuvent être des solutions en cas de problème fatal – il ne faut pas être contre la technique bien au contraire -, mais (…) ils sont utilisés de manière systématique ». Le plus célèbre de tous les intrants, celui qui cristallise une grande partie du débat, est probablement le sulfite.
Et les sulfites, c’est le soufre. Son utilisation est quasiment incontournable dans le vin, car il va avoir un effet antioxydant et antiseptique en plus d’être un conservateur (E220). Il stabilise le vin au fil des années et détruit les bactéries indésirables. Bien qu’utilisé à faibles doses dans l’agriculture conventionnelle, il va avoir un effet certain sur le goût du vin.
Classé comme produit toxique, allergène, il est avant tout considéré par les vignerons nature comme un médicament. Un médicament qu’on utilise donc sur un organisme malade. Le premier combat des viticulteurs est donc de livrer au chai des raisins en pleine santé pour limiter au maximum l’utilisation du soufre sous n’importe quelle forme.
Dans l’agriculture moderne, les produits chimiques ont pour rôle majeur de contrer les effets négatifs d’un autre produit chimique, et ces méthodes d’agriculture se sont vite transformées en un cercle vicieux dont la démarche s’inscrit plus dans une logique de traitement des pathologies que dans l’étude du comportement des végétaux.
Le « patient zéro » de cette escalade : sûrement le désherbant chimique. Son action – ne se limitant pas au système racinaire des mauvaises herbes, comme annoncé par les fabricants – va agir comme un destructeur sur les radicelles de la vigne, ces dernières étant normalement constituées pour absorber la potasse présente en surface ce qui va contribuer au développement d’un pH plus acide dans le raisin.
Ce pH bas est censé agir comme un protecteur contre les bactéries et les levures indésirables lors de l’élaboration du vin. Or, en présence de ces organismes, le vigneron se verra inévitablement contraint d’utiliser des agents comme les sulfites, dénaturant ainsi le goût originel du vin. Et ce jeu de poupées russes va très loin.
C’est ainsi que l’Homme désormais armé jusqu’aux dents, ne se bat plus contre les effets indésirables de la nature mais bien contre les conséquences de l’utilisation systématique des produits phytosanitaires eux-mêmes.
Renoncer aux traitements dans la vigne et aux artifices dans le cuvier n’est pas sans risque, mais c’est à cette seule condition que le produit transformé conservera son appellation théorique de vin, (encore une fois, « produit exclusif de la fermentation de raisin »).
La semaine prochaine, découvrez la troisième partie de ce dossier spécial vin nature à la découverte de ceux qui en parlent le mieux, les vignerons.
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