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À la découverte de l’alicante Bouschet – Hérault, France

"Dans le règne vitis vinifera, ces cépages sont exceptionnellement rares."

Question. Je suis un jeune cépage d’origine française, interdit de séjour dans les AOP. Mon caractère résonne sur la péninsule Ibérique ; j’étais le cépage favori des américains durant la prohibition, je suis ?!

Variété hors du commun, puissante et difficile à maîtriser, l’alicante Bouschet a su s’imposer comme l’indétrônable d’une espèce rarissime, celle des cépages teinturiers. De nos jours son règne perdure surtout en Espagne et au Portugal, où il y a trouvé le climat et le sol qui lui convient tant : chaud, et sec !

De Montpellier à Lisbonne, en passant par la Californie et Almansa, retraçons ensemble l’atypique épopée de l’alicante Bouschet.

Origine

Il semblerait que le croisement de cépages soit une affaire de famille chez les Bouschet. Au cours des années 1820, Louis Bouschet de Bernard (le père de Henri Bouschet) marque de son empreinte l’histoire de la viticulture* en créant le petit Bouschetune variété obtenue par multiplication générative (dite sexuée). Pour ce faire, il croise un cépage extrêmement productif mais au jus clair, l’aramon, avec un cépage bien plus foncé, le teinturier du Cher. Comme son nom l’indique, le teinturier du Cher est utilisé à l’époque par les vignerons du Berry et de l’Orléanais pour ajouter de la couleur aux vins.

Le petit Bouschet est considéré comme l’un des premiers croisements « ciblé et réussi ». Il se multipliera rapidement sur plusieurs continents jusqu’à la crise du phylloxera. Aujourd’hui c’est un cépage disparu, dont seuls quelques pieds restent conservés dans des collections botaniques.

Pourtant son héritage génétique est toujours bien présent. Trente ans après sa création, c’est au tour du fils de Louis, Henri Bouschet de prendre part au jeu du croisement. En se servant des qualités productives et colorantes du petit Bouschet, il créa en 1855 une nouvelle variété, en l’associant au fruité du célèbre grenache noir afin d’obtenir l’alicante Bouschet

Il est probable que les cultivateurs utilisaient la méthode du croisement dès l’Antiquité, mais aucune preuve écrite n’existe à ce jour. Cela n’enlève rien à l’ingéniosité de Louis Bouschet de Bernard, dont les travaux seront mentionnés par Charles Darwin (De la variation des animaux et des plantes sous l’action de la domestication, p.424), et par Pierre Viala, le premier ampélographe moderne.

Louis Bouschet de Bernard
Le petit Bouschet, parent de l'alicante

Cépage globe-trotter

En France

L’alicante Bouschet eut son heure de gloire sur ses terres, dans l’Hérault, aux alentours de 1880. À une époque de forte concurrence entre les vignobles français et méditerranéens, disposer d’un cépage à gros rendements et très coloré était un avantage certain. Il s’agissait en fin de compte d’une période où d’énormes quantités de vins chaptalisés puis coupés à l’eau se déversaient sur l’Hexagone en provenance du sud. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, sa surface cultivable a été divisée par dix, passant de 24000 hectares en 1958 à 2400 hectares en 2018.

En Europe

Mais après la crise du phylloxera, c’est surtout au Portugal qu’il trouvera son véritable terroir, dans l’Alentejo. Cultivé avec toute l’attention et le savoir-faire des viticulteurs d’Évora, il offre un caractère dense mais soyeux, au fruité enivrant. Connu là-bas sous le nom de tinta de escrever (l’encre d’écriture), on estime sa surface cultivée à environ 3000 hectares.

En Espagne, la culture du garnacha tintorera (le nom local) se concentre en Castille-La Manche. Moins emblématique dans cette région que dans l’Alentejo, on estime tout de même que l’alicante Bouschet recouvre une surface de 22 000 hectares dans tout le pays. Soit près de 70% de la production mondiale !

On trouve également de timides îlots de plantation, en Italie, en Grèce ou comme ici à Chypre, où l’Olympus Wineries s’essaye à l’exercice ultime, produire un 100% alicante Bouschet élevé en fûts de chêne :

En Amérique

L’alicante Bouschet est également connu sur le continent américain, et surtout aux États-Unis. Durant la période de la prohibition (1920-1933), de nombreux viticulteurs Californiens l’utilisaient pour sa peau épaisse qui lui permettait de résister aux longs voyages.

En effet, puisque la vente d’alcool était interdite, les producteurs de raisins envoyaient à travers le pays des grape brick, sorte de paquets composés de raisins déshydratés à faire fermenter en toute discrétion chez soi.

En Amérique du Sud, c’est au Chili et en Argentine que l’on trouve les plus larges plantations (600 hectares à eux deux).

Caractéristiques de l’alicante Bouschet

L’alicante Bouschet est donc un croisement intraspécifique de vitis vinifera entre le grenache noir et le petit Bouschet. Il est inscrit au Catalogue officiel des variétés de vigne de raisins de cuve.

À l’instar de son géniteur le petit Bouschet, l’alicante Bouschet est un cépage teinturier. Il s’agit d’une variété de raisin à pellicule noire disposant aussi d’une pulpe noire. Dans le règne vitis vinifera, ces cépages sont exceptionnellement rares. L’alicante Bouschet est certainement le plus connu d’entre eux. 

Un cépage teinturier est principalement utilisé pour son apport en couleur dans l’assemblage d’un vin rouge. Les amateurs de vin de Bordeaux pourraient croire en lisant cette définition qu’il en va de même du petit verdot, un cépage que l’on utilise en cépage d’appoint pour relever la matière et la couleur en Gironde. Il n’en est rien, ce n’est qu’un cépage noir à jus blanc, dont la pellicule renferme une plus grande quantité d’anthocyanes que le merlot ou le cabernet sauvignon par exemple.

On reconnaît l’alicante Bouschet à sa forme tronconique et à ses baies bleu violacé, compactes, recouvertes de pruine. En règle générale, il apporte un aspect très coloré au vin. En ce qui concerne les arômes et la matière en bouche, c’est souvent la date de récolte qui les influence.

Vigoureux et productif, c’est un cépage qu’il est impératif de tailler court. Il est également bien connu pour sa production de rameau non fructifère, le « gourmand de la vigne », qu’il convient d’épamprer. S’il résiste bien à l’oïdium, il craint un certain nombre de maladies comme le mildiou, la flavescence dorée et les vers de la grappe.

Styles, dégustation et accords

En France, l’alicante Bouschet n’a jamais été autorisé dans une appellation d’origine protégée. On peut dire que son profil dense et robuste à de quoi rebuter ! Au moins, il ne sera ni influencé par un cahier des charges, ni menacé par des institutions de standardisation. Quoi qu’il en soit, il est extrêmement rare de le trouver en mono-cépage. Il joue plutôt le rôle de correcteur de couleur et de matière.

Afin d’obtenir un vin de qualité, il est crucial de récolter l’alicante Bouschet au bon moment. Cueilli prématurément, les raisins apporteront des tanins grossiers et une acidité très mordante. Mais à maturité, il laisse apparaître un équilibre entre ces deux saveurs à travers des arômes de fruits noirs et d’herbes sauvages. Vieilli en fûts de chêne, il se pare de remarquables notes de chocolat noir et d’épices douces.

L’alicante Bouschet demeure néanmoins un cépage de caractère, acide et chaleureux, voire très alcooleux ! Au nez, on peut retrouver des notes déroutantes de goudron, de graphite, de résine ou de truffe. Très gras en bouche, il peut manquer de finesse, d’où l’intérêt de le vinifier en assemblage.

Assez peu de vignerons ont réussi à décoder les secrets de l’alicante Bouschet, si ce n’est sur la péninsule Ibérique. Là-bas, il n’est pas étonnant de le voir jouer les premiers rôles. Ainsi, pour lui donner le la, faites mijoter à l’avance une queue de boeuf à l’andalouse, grillez des saucisses au pimenton de la Vera ou fourrez de simples mais succulents yemista (poivrons farcis à la chypriote).

Le "rabo de toro" (queue de boeuf à l'andalouse)

Sélection d’alicante Bouschet

Qu’il vienne du Portugal. de Castille, ‘de France et de Navarre’, il y a forcément un alicante Bouschet pour flatter votre palais !

 
 
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